la civilisation Mochica

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fouilles

Au cours des campagnes de fouilles entreprises sur les sites Mochica, les archéologues exhumèrent une grande quantité de poteries, dites érotiques.
En observant les objets ci-contre, nous distinguons des attributs sexuels stylisés (2)(8), des actes sexuels entre animaux (10) et/ou personnages anthropomorphes (1)(3)(4)(5), un accouchement (9), des morts-vivants (6)(7).
L’interprétation que nous faisons de ces objets nous est dictée par notre propre culture. Rien, ne prouve que les Moches leur donnaient la même signification.
Il faut donc se montrer prudent. Chaque culture se situe dans un espace et un temps. L’espace de deux cultures peut être différent (Europe et Amérique du Sud). Le temps peut aussi être antérieur, contemporain ou postérieur, ce qui implique des modes de représentation et d’interprétation différents.

Or commme le déclare Lévi-Strauss, « depuis le XIXe siècle, en privilégiant la dimension du temps on a pris comme unité de référence notre histoire occidentale en postulant qu’elle était l’expression achevée de l’évolution de l’humanité ». Réduisant ainsi les autres sociétés à de simples ébauches, voire à une étape antérieure de la nôtre. Réduisant également l’histoire des anciennes sociétés, à un fragment de notre propre histoire.
Il faut se méfier de l’ethnocentrisme qui sommeille en nous et ne pas regarder les autres sociétés comme des sous-cultures en marche vers la société modèle que nous pensons représenter. On ne peut pas tout réduire à notre propre culture (culture occidentale du XXIe siècle).

Posons un nouveau regard sur ces objets en les replaçant dans leur contexte, dans une culture différente de la nôtre, avec d’autres règles, une autre morale, d’autres symboles et d’autres interprétations.
Il est important de comprendre que les images sexuelles figurant sur les céramiques Mochica ne sont pas des illustrations de la vie quotidienne de la société Moche. Aussi, leur interprétation ne peut se baser sur les idées et valeurs de notre propre société.

On aborde ici un des aspects les plus complexes de la religion Mochica : les rites associés au passage du Monde des vivants à celui des morts. Des rites qui, en l’absence d’écriture, sont évoqués par la production de ces céramiques aux teintes rouge brique. Les vases sont ornés de scènes sexuelles et sacrificielles peintes ou sculptées; la représentation d‘actes explicites, impliquant des humains, des animaux voire des squelettes, accompagnait le Seigneur et l’élite Mochica dans leur voyage vers le Monde des morts, garante de leur retour à la vie et à la fertilité.

Il s’agit donc d’une imagerie religieuse, à fonction rituelle, qui utilise la sexualité pour symboliser des concepts abstraits:
le passage du monde terrestre à l’au-delà, les échanges continus de substances nourricières (sang, liquide séminal, eau, …) entre les vivants et les divinités ou les esprits des ancêtres. Ces échanges sont les garants de l’équilibre de l’univers Moche dont la gestion incombe au souverain et aux dignitaires religieux.

Ces poteries sont des objets cérémoniels liés aux sacrifices humains pratiqués par les Mochicas. Le sang de la victime, substance nourricière, était probablement recueilli dans le vase. Les scènes représentées symbolisent le passage d’énergie entre un humain vivant et une victime sacrifiée, un mort ou un être squelettique. Les scènes impliquant des animaux symboliseraient le concept de fertilité.

Texte reprenant partiellement les commentaires de l’exposition « Sexe, mort et sacrifice dans la religion Mochica » qui se déroula en 2010 au Musée du Quai Branly.
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poterie Moche

Société Moche

Les découvertes archéologiques ainsi que l’analyse iconographique permettent d’affirmer que la société Moche se complexifia et se structura progressivement au cours des deux premiers siècles après J.-C.

La société était dominée par une élite. Cette élite puisait la légitimité de son pouvoir dans la religion qui s’exprimait à travers des rites et des cérémonies.
Au sommet de la pyramide (Nous verrons dans le chapitre consacré à Tucume que cela doit s’entendre, tant au propre qu’au figuré) se trouve le Seigneur, sorte de prêtre-guerrier, considéré comme l’intercesseur auprès des dieux. Il détient le pouvoir politique, religieux et militaire.

Le grand prêtre est la seconde personne du royaume. Il conduit les rituels. Il est également le gardien de l’équilibre de l’univers. Les guerriers, les prêtres et les administrateurs occupent un statut élevé dans la société Mochica. Leurs fonctions semblent avoir été héréditaires. Viennent ensuite les commerçants, les artisans et les bâtisseurs. Puis les pêcheurs et les paysans.

prêtre Moche

seigneur et prêtre Mochica

sacrifices humains

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dans le détail
La réalité de sacrifices humains pratiqués par la société Moche ne fait aucun doute. De nombreux ossements humains ont été découverts sur les sites Mochica. L’analyse des corps a montré que les victimes avaient été égorgées.
Plusieurs regroupements archéologiques permettent d’affirmer que ces cérémonies furent bel et bien des rites pratiqués par les Moches.

Pour tenter de comprendre le sens, la raison de ces cérémonies, nous suivrons un scénario en 3 étapes:

1) La préparation qui consiste à se procurer des humains « sacrifiables » et à les préparer en vue de la cérémonie.

2) La cérémonie du sacrifice qui comporte tout le rituel au cours duquel la victime est immolée.

3) L’après-cérémonie qui comprend tous les actes perpétrés sur la victime une fois le sacrifice accompli: démembrement, décapitation, cuisson, abandon, prélèvement de certaines parties du corps, …

Remarque :

La plupart des illustrations de sacrifice humain se rapportent aux traitements infligés aux hommes adultes. Dans ce qui suit, nous nous en tiendrons strictement aux rites liés aux sacrifices de guerriers capturés lors de combats.
Nous passerons donc sous silence d’autres cérémonies sacrificielles, comme celles liées à l’immolation de femmes ou d’enfants, qui semblent pourtant avoir été pratiquées à l’occasion, dans le cadre de rites funéraires pour accompagner dans l’au-delà un personnage de haut-rang (sacrifices d’accompagnement) ou lors de l’érection d’édifices importants pour la société Moche (sacrifices liés aux rites de fondation).

1) La préparation

Il semblerait que les Moches, à l’instar des Aztèques pratiquaient une forme de combat rituel destiné à sélectionner des sujets masculins à sacrifier. Mais contrairement aux Aztèques, les raids pour s’emparer de prisonniers mâles ne se limitaient pas aux tribus ennemies. Il apparaît en effet que les guerriers Moche s’en prenaient également à des communautés Moche voisines, de même culture, pour atteindre leur quota d’hommes « sacrifiables ».
C’est du moins ce qui apparaît dans l’iconographie Moche. Dans certaines scènes de combat, les guerriers des deux camps portent les mêmes habits et utilisent les mêmes armes, tandis que dans d’autres illustrations de bataille on distingue nettement des adversaires équipés différemment (habits, coiffes, boucliers, javelots, massues, frondes,…)

Les vaincus, toujours des hommes, sont dévêtus et dépouillés de leurs ornements et armement. Puis ils sont conduits, la corde au cou et le nez ensanglanté, jusqu’au centre cérémoniel. Ce trajet pouvait durer plus d’une journée et emprunter des zones désertiques.
Nus et ligotés, conservés dans un état de soumission, les captifs étaient pris en charge par des prêtres et des prêtresses qui étaient chargés des préparatifs de la cérémonie du sacrifice.
Quelques iconographies suggèrent que les candidats au sacrifice pouvaient être soumis à des tortures: lacération de la peau, amputations diverses, lapidation, …

2) La cérémonie du sacrifice

Les prisonniers, probablement drogués, étaient conduits devant le prêtre-guerrier, le plus haut dignitaire Moche, occupant le sommet d’une huaca (pyramide), qui était à la fois le siège du pouvoir politique et religieux et le lieu sacrificiel. Le seigneur Moche choisissait ceux qui devaient être sacrifiés.
Pour l’occasion, le futur sacrifié était soit revêtu d’un costume solennel soit laissé nu, mais dans tous les cas, il avait les poignets liés derrière le dos.

Le sacrifice était le plus souvent perpétré par deux officiants à l’aspect hybride (moitié homme, moitié animal).
Le renard anthropomorphe était celui qui brandissait le « tumi » (couteau sacrificiel) pour égorger la victime, tandis

que son assistant, le félin anthropomorphe, relevait le menton du sacrifié afin de présenter la gorge à la lame. La gorge une fois tranchée, on y introduisait une canule pour recueillir le sang dans un bol. On conservait le sang à l’état liquide grâce à quelques tranches de fruit d’ulluchu, sorte de papaye aux propriétés anticoagulantes.
Le sang sacré maintenu à l’état liquide par le fruit d’ulluchu, il était ensuite transvaser dans une coupe et présenté comme offrande au prêtre-guerrier. Cette présentation semble avoir été le point culminant de la cérémonie du sacrifice Moche.

3) L’après-cérémonie

Les actions qui se déroulent après le sacrifice sont complexes et varient. Ces actions sont évoquées dans de nombreuses représentations iconographiques et confirmées par les fouilles archéologiques entreprises sur les sites funéraires Moche. Le sacrifice une fois accompli, le corps sans vie de la victime était démembré par le sacrificateur. La tête du sacrifié pouvait être réduite et garnir divers objets: un bâton de commandement, la litière d’un haut dignitaire, un instrument de musique, …
Il est fort probable que les Moche, comme les autres sociétés précolombiennes de la région, pratiquaient un culte des têtes-trophées.
D’autres parties du corps pouvaient être « recyclées ». Les os longs pouvaient être transformés en outils tels que grattoirs et poinçons à percer le cuir.
Les corps pouvaient aussi être rassemblés sur un site funéraire en guise d’offrandes. Des fouilles récentes effectuées sur le site de Moche ont mis au jour de nombreux corps d’hommes immolés avec violence, certains ayant même été enterrés encore vivants dans des fosses aménagées.


Texte élaboré à partir de:
« Corps étranger, corps sacrifié. Le symbolisme corporel dans les contextes de sacrifice humain de la société moche du Pérou précolombien« 

de Daniel Arsenault, chercheur en archéologie-anthropologie au CÉLAT (Centre d’Études interdisciplinaires sur les Lettres, les Arts et les Traditions) et chargé de cours au département d’histoire de l’Université Laval.

Resources :
Fineline Drawing of Moche Sacrifice Ceremony, Staatliches Museum für Völkerkunde, Munich – Drawn by Donna McClelland

Bourget S – 2006 – « Sex, death and sacrifice in Moche Religion and Visual Culture. University of Texas Press, Austin.

K.Kris Hirst – archaeology.about.com/od/mocheculture

En résumé:

Les guerriers s’élancent dans un corps à corps. Les vaincus sont dépouillés de leurs armes, mis à nu et frappés au visage pour les faire saigner du nez.
Les prisonniers sont ainsi conduits jusqu’au site cérémoniel où ils sont pris en charge par des prêtresses revêtues d’un costume d’oiseau.
Les captifs sont nourris, mais sont parfois torturés.

Puis, tel que le décrit la frise dans la partie inférieure, le grand prêtre aidé par d’autres prêtres et prêtresses égorge les prisonniers à l’aide d’un « tumi » (couteau sacrificiel).
Le sang est recueilli dans la coupe du sacrifice par le prêtre à masque de hibou. Le prêtre-guerrier, seigneur suprême de la société Moche porte la coupe à ses lèvres et s’abreuve du sang des sacrifiés.
Les corps des captifs sont ensuite démembrés.

Mise en ligne le 1 déc. 2009
video about a Mochica’s sacrifice’s ceremony realised for the museums of arts and history of Brusels, Belgium

Documents complémentaires à consulter

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Cérémonie du sacrifice Mochica

Painting by James M. Gurney – National Geographic / octobre 1988
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bâton Mochica

La Gazette Drouot n° 11 – 16 mars 2012 -Sylvain Alliod
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sacrifice

Fineline Drawing of Moche Sacrifice Ceremony, Staatliches Museum für Völkerkunde, Munich – Drawn by Donna Mc Clelland

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