Les collections du Louvre-Lens

Propos recueillis

Xavier Dectot - Directeur du Louvre-Lens

Xavier Dectot
Directeur et Conservateur
du Louvre-Lens
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Ce sont des oeuvres exceptionnelles. Ce que l’on a voulu, c’est les présenter d’une autre façon. D’une façon décloisonnée, avec des sculptures qui parlent, avec des peintures qui parlent avec des objets d’art. La Grèce qui parle avec l’Egypte, qui parle avec la Mésopotamie…
Voilà!

Cette présentation décloisonnée permet un autre regard sur les collections du Louvre. L’idée, c’est qu’un musée, c’est un milieu qui bouge, c’est un milieu qui respire. Donc, que le renouvellement des oeuvres fasse la respiration de cette collection.
A chaque fois, tous les ans, ce sera un musée différent. C’est un musée que l’on peut aussi revoir, même, au cours de l’année. Les expositions temporaires, elles, sont là pour une durée de trois mois. C’est un musée qui est en transformation perpétuelle.

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L’interaction des collections

Les oeuvres exposées ont été choisies, non seulement pour être représentatives d’une époque, d’une civilisation ou d’une culture, mais aussi pour dialoguer entre-elles.
Descente de croix
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Interaction des matériaux
Ce n’est pas un hasard si ces oeuvres sont présentées côte à côte dans la Galerie du Temps. Elles datent toutes deux de la même période (aux alentours de 1515) et proviennent de Belgique mais celle de droite est une huile sur bois, tandis que celle de gauche est un élément de retable sculpté en bois de chêne.
Ces deux représentations se complètent et nous fournissent des exemples représentatifs sur les sujets ainsi que sur la manière de les traiter, il y a 500 ans, dans cette région. Les artistes de l’époque répondaient avant tout aux besoins de leurs commanditaires.
Descente de croix
Rien d’étonnant, dès lors, que les sujets bibliques soient largement répandus dans les oeuvres de cette période.

Élément de retable : la Déploration du Christ. Origine: Anvers (Belgique) vers 1515. Matériaux: bois de chêne, polychrome.
Artiste inconnu.

La Sainte Trinité, avec Dieu le Père soutenant le Christ. Origine : Belgique vers 1515. Huile sur bois.
Artiste: Colijn de Coter

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Interaction des civilisations
Il existe une culture grecque contemporaine à l’Egypte.
Ce Couros de Paros (Cyclades – Grèce vers 540 avant J.-C.) est contemporain de cette statue égyptienne représentant « Pharaon » (Egypte vers 590 avant J.-C.)

On dit souvent que la sculpture grecque s’est inspirée de l’art égyptien; mais aucun musée ne le montre. Ici, on peut se rendre compte à quel point l’une s’est inspirée de l’autre.
On voit cette même attitude, les bras le long du corps, la jambe gauche avancée. Mais, avec une révolution dans l’art de la représentation du corps humain, puisque dans la sculpture grecque nous avons un nu masculin et l’absence de pilier dorsal.

Sous le règne du pharaon Psammétique II
Durant son règne, qui ne dura que six ans, le pharaon PsammétiqueII poursuit la politique étrangère de son père en enrôlant encore davantage de mercenaires grecs dans l’armée, créant des alliances avec ses voisins pour contrer les appétits de conquête de Nabuchodonosor II, roi de Babylone.
Pour stabiliser son autorité, Psammétique II mène une campagne contre les Nubiens à laquelle il participe personnellement et dont il sort victorieux.
À cette époque, l’Égypte est le carrefour du bassin méditerranéen : marchands grecs, phéniciens, syriens et juifs s’y côtoient. Qu’ils soient mercenaires ou négociants, les Grecs occupent une situation privilégiée en Egypte.
Pharaon leur cède une ville entière: Naucratis entre Memphis et Alexandrie. Très vite, la ville devient une plateforme pour l’échange de l’art et la culture entre Grecs et Égyptiens.
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Les trois sculptures ci-dessous, présentées dans la Galerie du Temps, illustrent assez bien les influences qui ont pu s’opérer entre les civilisations (Egypte – Grèce – Chypre).

Les influences des différentes civilisations du bassin méditerranéen

Interaction des artistes

Dans un face à face deux oeuvres s’interpellent. A gauche, »La Madeleine à la veilleuse » de Georges de La Tour. A droite,  » Saint Matthieu et l’Ange » de Rembrandt.
Les deux artistes utilisent ici la technique du clair-obscur qui apparaît à la Renaissance. Chacun à sa manière va illustrer des symboles bibliques.

Observons les deux tableaux

Saint Matthieu et l’Ange

Rembrandt est déjà en fin de carrière au moment où il peint ce chef-d’oeuvre. Dans l’iconographie traditionnelle chrétienne, les apôtres sont représentés par des symboles.
Le taureau pour Luc,
le lion pour Marc,
l’aigle pour Jean, etc.
Et c’est traditionnellement l’Ange qui est associé à Matthieu. Ce qui explique le titre de l’oeuvre.

Rembrandt ne représente cependant pas l’Ange comme un symbole mais bien comme un jeune homme qui souffle à l’oreille du vieillard ce qu’il doit écrire. On peut émettre l’hypothèse que Rembrandt s’associe déjà au vieillard. Au point que l’on a pensé que c’était peut-être Titus, le propre fils du peintre qui aurait servi de modèle pour le visage de l’Ange.

Rembrandt apporte un soin tout particulier aux matières. Il s’agit quasi d’une peinture monochrome, tout dans les bruns.

On dit de Rembrandt qu’on pourrait prendre ses portraits par le nez, tellement qu’il travaillait sur les empâtements de matières.

Les pigments sont travaillés, modelés, presque « sculptés » sur la surface du tableau. On le voit notamment pour la représentation de la chair et des plis de la peau.
On voit aussi le soin apporté aux mains de l’apôtre, car c’est lui qui retranscrit le message divin.

A travers cette oeuvre, Rembrandt, homme du XVIIe siècle, nous confie aussi sa façon de voir sa relation avec le sacré, avec Dieu.

La Madeleine à la veilleuse

Le sujet de ce tableau n’est pas simplement une femme assise en train de regarder paisiblement la flamme d’une lampe à huile. Tout comme chez Rembrandt, Georges de La Tour nous invite à décoder des symboles bibliques. Le crâne sur les genoux de Madeleine devrait, à lui seul, nous en convaincre. L’artiste représente ici Madeleine, la prostituée repentie, dans un décor dépouillé qui illustre le changement de vie de Madeleine.

Observons à présent les objets disposés sur la table: deux livres placés l’un sur l’autre, une lampe à huile; sur le bord de la table, une croix en bois sur laquelle repose un fouet tressé. Donnons à présent du sens à tous ces symboles. La croix et le fouet rappellent les souffrances du Christ qui est venu sauver le monde. Le fouet pour la flagellation, la croix pour la crucifixion. Les deux livres qui se superposent sont probablement l’Ancien Testament et le Nouveau Testament qui rassemblés constituent la Bible.
Jaillissant presque des Livres, la lumière de la lampe à huile illumine la chambre. Plusieurs interprétations se juxtaposent : C’est à la fois, la victoire de la Lumière sur les ténèbres, la Parole de Dieu éclairant le monde et Jésus lui-même.
Au chapitre 8 – verset 12 du Livre de Jean, on peut lire: « Jésus leur parla de nouveau. Il dit: «Je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura au contraire la lumière de la vie.
La Lumière est synonyme de Dieu lui-même: Psaumes 27:1 L’Éternel est ma lumière et mon salut, de qui aurai-je crainte?
Dernier élément de notre décodage: Le crâne, symbole de la Mort. Ici encore deux interprétations se combinent. Dans de nombreuses oeuvres illustrant la mise en croix du Christ, on peut apercevoir un crâne à l’avant-plan de la scène (voir exemples ci-dessous). Cette pratique prend ses racines dans le terme Golgotha. Le Golgotha était une colline située dans l’Antiquité à l’extérieur de Jérusalem, où se déroulaient les exécutions capitales. Cet endroit est mentionné dans tous les évangiles du Nouveau Testament, comme lieu du crâne.
Marc (ch 15/verset 22) : « Et ils conduisirent Jésus au lieu nommé Golgotha, ce qui signifie lieu du crâne. » ;
Jean (ch 19/verset 17) « Ils prirent donc Jésus ; il sortit portant sa croix et vint au lieu dit du crâne, ce qui se dit en hébreu Golgotha. »
Mais dans « La Madeleine à la veilleuse » une autre interprétation s’impose. La main en contact avec le crâne est dans une position de rejet. Il faut considérer tous ces symboles en interaction. Madeleine se tourne vers la Lumière. Par son sacrifice, le Christ a vaincu la Mort. Le croyant reçoit le pardon de ses péchés et la promesse d’une vie éternelle auprès de Dieu. Par son oeuvre, Georges de La Tour, nous présente, ici, une sorte de synthèse de la foi chrétienne.

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